Brouillard et Fantaisie #1
Entre les mondes d’avants, d’après ou de jadis, voir même d’antan, un épais brouillard c’était installé. Au cœur de celui-ci, les êtres vivants disparaissaient. Seules restaient des silhouettes plus ou moins formées. Des créatures difformes pareilles à celles de nos plus grands cauchemars ou de nos plus beaux fantasmes. James était un de ses êtres tapis dans le brouillard. Assis sur son fauteuil, il s’était habitué à la fumée qui augmentait à l’aide de ses cigarettes. Quitte à ce que le monde disparaisse autant y aller à fond – pensait-il – et non sans un certain plaisir malsain à renforcer le nuages de fumée quasi permanent qui flottait tout autour de lui. Son habitat devint gris, les meubles étaient des ombres, la lumière de l’écran de l’ordinateur un phare. On peut affirmer sans peine que James n’était pas une créature diurne ou qui nécessiterait un quelconque bol d’air frais. Pourtant et contre toute attente, c’est quand le brouillard était le plus pesant qu’une fenêtre s’ouvrit. Pris de peur, James se recroquevilla sur lui-même pensant partir en fumée mais à sa grande surprise, l’air n’était pas si puissant. Il ne pouvait dissipait complètement la fumée. Ainsi protégé, il s’approcha du dehors et sauta par la fenêtre. Stupéfait, il constata que le brouillard recouvrait le monde. Les rues, les battisses, les commerces, les bistrots, les restos, les théâtres, tout étaient embrumées. James progressait sans difficulté dans le flou. Sa nature de « nageur du vide » l’avait plus ou moins préparé à cet environnement flottant entre le visible et l’invisible.
Sur ce qui devait être à l’époque une place ensoleillé et pleine de vie, il trouva – en tâtonnant – une chaise puis une table. S’allumant une nouvelle cigarette, il se posa là, attendant et observant les contours des objets environnants. L’endroit était une terrasse. Une sorte de vestige, presque un souvenir. Une main sur la table, James sentit que la fumée devenait de plus en plus solide ; compacte. Comme dans un rêve, un verre s’était formé dans la main de James. Quelle était cette sorcellerie ? Cet objet, il l’avait oublié et lorsqu’il l’approcha de sa bouche – par réflexe – ce n’était pas un doux breuvage mais des cendres qui remplissaient sa bouche. James cracha et toussa tandis qu’autour de lui, des silhouettes s’installaient sur d’autres chaises. Des corps étranges, noircis, filandreux, mécaniques et fragiles. Des sortes de marionnettes squelettiques. Sur chaque table et devant chaque créature, la fumée créait des verres de toutes tailles et de toutes contenances. Chacun buvait et se remplissait la panse encore et encore comme des robots devenus fous et programmés pour un seul geste : boire encore et encore. Le verre de James était vide alors il se remémora les sensations qu’il connaissait si bien. La couleur du liquide. Sa consistance. Le degré. Le goût. Le plaisir et le dégout. L’ivresse ou la sensation de ne plus rien sentir. La brulure ou l’apaisement. La détente ou l’excitation. Ce déluge d’impressions ne pouvait s’arrêter. James empoignait le verre si fort qu’il aurait voulu le briser, ne serait-ce que pour ressentir encore et encore ce manque mais seul régnait l’absence. Desserrant petit à petit son étreinte, il tendit l’oreille. Des bruits circulaient dans le brouillard, comme des chuchotements. Venaient-ils des créatures ? Où venaient-ils d’ailleurs ? James entendait des phrases, des voix qui n’étaient pas la sienne, des discours d’hommes et de femmes qui échangeaient sur le tout et le rien. Les petites histoires comme les grandes. Les rires et les pleurs. Les plaintes et les remontrances. Les morales contres les libertés. Tout était assourdissant, mélangé et sans le moindre sens ; rien de tout cela n’était logique ! Une vague continue, un déversoir de rêves, d’espoirs, de peurs, d’envies, de détresses, de demandes et de reconnaissances. C’était à vomir ! Un trop plein soudain d’humanités qui se retrouvent pour mieux s’entrechoquer mais qui ne vont nul part. Tout dégouline et tout n’est que fumé ! Un brouillard qu’on ne peut saisir et qui nous échappe tel un fantôme disparaissant dans la nuit. James ne pouvait démordre de l’idée d’avoir son verre plein pour faire le tri et fermer les écoutilles. Dans un geste de désespoir, il le porta une nouvelle fois à ses lèvres. Ce qu’il sentait n’était plus des cendres mais ce breuvage tant désiré. Etait-ce ainsi… Revenir au point de départ. « S’écarter pour mieux voir de plus près », une vieille devise complice et amie. Observer et écouter, écrire quelques chroniques dans ce brouillard plein de fantaisies.
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