« Ecartez le rideau »
« Ecartez le rideau ». Une phrase toute simple, quelques mots : un ordre peut être un vice ou une simple envie.
James s’était faufilé discrètement dans une des pièces de son imaginaire où se trouvaient plusieurs grands rideaux rouges d’un velours particulièrement épais et lourd. Songeant aux recoins de son esprit qui abritait plus d’un théâtre à fantasme, il se demandait : quel genre de scène se tramait dans pareil endroit ? Marchant d’un pas feutré, James tendait l’oreille pensant deviner le son d’une quelconque action cachée mais il n’y avait rien : pas un bruit ! Pas même un simple mouvement de plis sur les tissus. Le pied agile et léger, il pousse son périple jusqu’au hasard d’un croisement entre deux rideaux qu’il décida d’écarter délicatement. Jetant un rapide coup d’œil et à sa grande surprise : il n’y avait rien ! Seul était présent le vide, un trou noir. Curieux ? – se dit James, qui connaît rarement le manque d’inspiration et pourtant : le néant lui semblait grand. Décidé, il s’engouffra vivement se disant qu’au pire : une simple chute en l’esprit ne l’entrainerait que dans un ailleurs bien meilleur.
C’était bien dans le vide qu’il se tenait. Dans une apesanteur curieuse à laquelle il n’était guère habitué. Soudain, un murmure vint chatouiller l’orifice auditif de James, sans mots bien distincts mais pour sûr, un chuchotement fait de notes féminines se répercutant en échos. Entre des éclats de rires, des respirations profondes et des cris évocateurs : une mélodie charnelle et suave emplissait le trou noir aux allures d’infini. Les voix tournoyantes autours de James, il lui était impossible de distinguer leur provenance. Restant dans ce jeu de va et vient plaisant – au cœur de cette ronde sonore tentatrice – James entreprit de mêler sa voix à celles, singulières ou plurielles, qui résidaient ici.
Dans la noirceur épaisse du vide, James distingue un œil féminin luisant puis deux qui s’ouvrent face à lui tandis que les murmures cessent. Mirant les lueurs de pupilles humides dans ce décor, les deux rideaux rouges s’écroulent au sol pour dessiner un parterre moelleux où seul un couloir étroit et obscur jaillit. Un vent chaud balaye la noirceur qui se drape autour d’un corps de femme. La matière s’active pour vêtir la créature d’une robe courte bandée de noir et blanc laissant paraître des jambes infinies dressées par des talons sertis. Nul visage, nul mains ni bras, seul, perchés, les yeux s’écartent et se ferment face à James admirant les couleurs volatiles d’un tissu léger trop bien porté pour ne rien dévoiler.
Tentation de mise, James projette l’envie d’aller tâter. Curiosité poussée et vice naissant, il avance ses mains prêtes à embraser le moindre touché. Devancé par son envie, la belle cligne de l’œil et signe l’invitation tandis que les rideaux soyeux s’élancent pour créer les bras et les mains de l’être fantasmé. James s’arrête souriant à l’idée des corps à égalité prêt à se confondre : s’entrechoquer. Les mains et doigts drapés de rouge, filent vers sa taille qui se laisse aller à la sublime. – Serait-ce une mante religieuse prête à l’action ou l’illusion d’un flirt sans poursuite ? – Inconscient et motivé par l’instinct, il se laisse conduire. A présent collé, debout tout en embrassant les courbes du rêve, les jambes de la reine longent le vêtement de James. La rondeur ferme d’une hanche rosée se fait sentir à travers le vêtement : l’envie de s’y appuyer et d’y goûter se fait pressante. Soulevée par le mouvement et la belle pression des chairs, la robe courte se lève laissant entrevoir la limite, cette ligne d’horizon où, peu importe la saison : la lune ronde et blanche est toujours pleine. Non débattu dans l’étreinte, le corps de James se laisse faire, l’esprit bloque toutes actions et lui donne la rare occasion d’être pur spectateur du show.
Cependant, c’est son théâtre ! Son fantasme ! Et si dans ce boudoir il est : il n’a nullement l’intention de le bouder. Puisque tout est imaginé, James se concentre en se voyant de l’autre côté. Ainsi soit-il ainsi soit fait, téléporté par son désir d’être à dos, c’est au derrière qu’il se tient contemplant une nuque : berceau des plaisirs qui au touché se délient. James, actif sous les tissus qui se dérobent, suis le chemin de la colonne pour aboutir à l’emplacement de son envie mais dans l’instant où la pression charnelle de son désir s’exerce, l’actrice se dissipe, s’évapore, disparaît : tout est fini. Le pauvre James, seul, en tension, main dans le vide se laisse envahir par les mémoires de son corps. Immolé par celles-ci, il laisse pour trace dans le vide et la noirceur : l’image d’une cigarette que l’on aurait consumée en une bouffée.
En cendre, son corps s’envole, il revient à lui et s’éveille : attristé, en colère et désirant, songeant au plaisir de se rendormir pour s’autoriser une nouvelle visite.
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