Immeuble n°3
Comme à son habitude, James se tenait au sommet : sur le plafond de nos villes, les toits de nos immeubles. Tout se taisait autour de lui tandis que les fenêtres s’allumaient petit à petit. Un son vint perturber l’air contemplatif du personnage. Pour la première fois, ce qu’observait James n’était pas devant mais en dessous de lui. Les murs vibrent, la pierre craque telle une fine couche de glace qui laisse s’échapper les bruits d’intérieurs de cette bâtisse. James bondit. James s’écarte. James décide de poser l’oreille.
Troisième étage, au plus haut. Le rideau se lève sur le repas où ce n’est plus une famille qui trône mais une boite noir. Face à l’objet insolite couplé au tube cathodique, le son des images a remplacé celui de la parole : celle qui fait et se débat. James entend les échos de mots qui se répercutent sur les corps et dans les têtes. Les yeux des caboches humaines son devenus des entonnoirs infinis où, sans retenue, s’engouffrent pensées, joies, craintes et incertitudes. James s’interroge sur ces êtres devenus des déversoirs : y a t-il un endroit où ce qu’ils ingurgitent se raccroche ? Tout à coup, les êtres s’agitent en levant le nez de leurs assiettes et lancent quelques phrases accompagnées de points d’interrogations vers l’objet. James recule, son oreille le brûle, lui : témoin auditif d’un flux de réponses à l’écran donnant des résolutions vides.
James poursuit sa route sur ce toit craqué songeant à trouver un plafond plus approprié. Pris de vertige, pris de hauteur, il regarde les immeubles au lointain. Tentant un numéro d’équilibriste, il traverse le vide sur une corde à linge ne manquant pas de tomber au contact d’une pince. Enfin, arrivé sur un béton plus sûr, ce ne sont pas les fissures mais les grilles de ventilations qui portent à son ouïe de nouvelles situations.
Lui, le dissipé, sent qu’à nouveau et contre son gré, les mots vont s’engouffrer jusqu’à lui boucher la précieuse cavité de l’écoute. Secouant la tête tout en ébouriffant ses cheveux, il se rend au bord du toit sur l’arrête de la pierre, prêt à se laisser tomber : désireux de revenir en bas. Oui – le parterre lui générait une certaine attraction. Se reposant donc sur son habileté, il décida d’entamer le saut, périlleux pour son allure frêle, qui le reconduirait sur terre : là où il aime tant marcher. D’un pas décidé, il plongea. Son corps bascule en arrière et tête la première il dévale l’air. Dans sa chute, il voit et traverse milles fenêtres. Comme dans un rêve accéléré, chaque vitre renvoie une image qu’il s’amuse à photographier. Sa tête éclate, ses cheveux se hérissent victimes d’un court-circuit de méninges qui délirent. Le temps s’accélère et l’air se fait vif comprimant toujours davantage la maigreur de tout son être. A mi-chemin de l’arrivée ou de la fin, il lève la tête pour voir de plus en plus clairement l’appel du sol. Jetant un dernier regard sur ces immeubles si chers il voit que le béton se déforme comme pour venir à son secours. Les immeubles se tordent et se courbent pour l’enfoncer ou l’amortir. Tout va vite, il ne reste que quelques centimètres. Tout ce qui est urbain fond sur James.
Enfin le choc, le sol, un dernier rebond, une seule ligne de son. James – allongé mais non brisé – revient à la raison sur un nouveau béton prenant conscience qu’en haut où qu’au plus bas il y aura dans tout les cas vertige dans ses écarts.
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