Insomnie & étrangeté
Au cœur de son familier « trou à rat », James – le nocturne – était victime d’éveils réguliers en plein coeur de ses nuits.
Comme à son habitude, James essayait de trouver le sommeil tardivement mais la plupart de ses appels étaient sans réponse. Pourtant, la journée avait été longue : travail, marche, écoute, observation, rencontre, etc. Tant de choses qui fatigueraient n’importe qui mais sur ce sujet, de toute évidence : James souffrait d’une affliction particulière.
Depuis son plus jeune âge, il n’était pas fan de la lumière préférant de loin la nuit pour provoquer quelques écarts sur sa petite vie. Il s’est toujours senti vivant la nuit et dormant le jour or comment serait-ce possible ? Puisque comme la plupart du monde : il se lève, se prépare puis vit – ou survit. James ne comprenait pas cette sensation d’être éjecté d’un rêve quand le soleil part se coucher. Curieux et soucieux de son état, il pensait à une quelconque maladie orpheline voyant en lui une figure de parent. Un matin, devant son miroir, il observait son œil pour comprendre la défaillance de cette mécanique mais il ne trouva rien d’anormal : rien qui n’apparaissait à l’œil nu.
Il fallait un expert et même s’il les déteste : James sait se rendre quand il le faut. Assis et patient – dans les deux sens – James occupe son énervement en feuilletant des revues obsolètes. Tout à coup, la porte s’ouvre : « Monsieur … James, s’il vous plaît. ». Face à l’arrogance en blouse blanche, James tente d’expliquer son cas mais il obtient pour réponse :
- Avant de commencer, vous pourriez peut-être me regarder.
- Mais je vous regarde ! Répond James, un peu surpris.
- Navré mais non : vos yeux sont clos.
- Pourtant, je vous vois très bien.
- Ecoutez… Je n’ai rien contre une plaisanterie mais si vous voulez un examen : il va falloir faire un petit effort.
- Vous avez reçu mon dossier ? Vous connaissez mon problème ? Demande James perplexe.
- Oui j’ai lu les quelques notes qui vous concernent : « Un trouble de la journée avec sensation d’être réveillé la nuit au profit du jour qui serait… » selon vos dires : « un rêve ». Donc, en tant que médecin, mon meilleur conseil est de faire toute la lumière sur cette histoire tout en ouvrant les yeux sur votre problème.
- Vous vous moquez de moi ? Répond James avec aplomb.
- Pas du tout. Ca dure depuis combien de temps ? Le médecin prend un ton sérieux.
- Depuis le début.
- Quel début ?
- Le début de mon existence. Rétorque James avec un certain dédain.
- Vous avez conscience d’être un dessin ?
- Oui, répond James avec assurance, ç’est toujours déstabilisant au début : j’en ai conscience.
- Dans ce cas : êtes-vous équipé ?
- Oui… James doute et répond : qu’entendez-vous par équipement ?
- Est-ce que tout est à sa place ?
- Je pense.
- Puisque ce n’est pas un défaut de création ce ne peut être qu’un souci de caractère. Pouvez-vous me dire si vous êtes indépendant ?
- Oui, depuis longtemps ! Affirme James.
- Dans ce cas je constate, aussi étrange que cela puisse paraître, que vous dormez. Vous me parlez, certes mais vous êtes absent et malgré un visage que je peux distinguer clairement : je ne vois aucun regard présent à cette heure-ci du jour. Voilà pourquoi vous êtes victime d’un sommeil diurne opposé à un réveil nocturne.
- Donc je ne vois pas ? Demande James, un peu dubitatif.
- Non, répond le médecin, par contre vous sentez.
James commence à saisir les mots de l’expert. Lui qui croyait être doté d’un visage complet n’avait pas conscience d’être – en partie – inachevé par son créateur.
En quittant le cabinet, il prit conscience que ce monde n’était pas celui qu’il croyait. Pourtant, cet univers lui apparaissait clairement de chez lui. Lorsqu’il franchit une nouvelle fois la porte de son intérieur, James savait que sa journée ne faisait que commencer tandis qu’elle s’achevait pour d’autres.
Alors que cette compagne d’insomnie approche, il s’interroge : qu’est-ce que le vrai monde ? Que se passera t-il si j’ouvre les yeux ? Qu’est-ce que la journée comparée à la nuit ? Pourrai-je naviguer entre les deux ? Serais-je toujours le même ? Dois-je changer ?
James sort de son lit. Il va s’assoir et proche de la supportable mais faible lueur d’une bougie : il écrit.
Kantig
cogito ergo sum, ou : je pense donc j’écris