Ivresse #1
Là où l’on trouve le bois se trouve celui qui boit.
Ivrogne, que vas tu faire ? Où vas-tu ? Que sens-tu ? Déséquilibre des sens, félin des nuits qui arpente un bitume de sables mouvants. La chaleur des breuvages affaiblie ta musique. Un pas léger, une entrée de plus dans un bar. Tu ne tiens que quelques secondes comme une statue balayant l’espace d’un regard de pierre. L’agilité de ta marche fend la foule et t’y voici. Pilier robuste sur un comptoir, aucun geste, aucun mot, aucun son. Nul besoin d’un appel de la main car ton verre vient. Commence la première gorgée, cette lampée acide qui descend lentement et brûle cet estomac usé. Ta tête se grise, ton esprit s’aiguise, tes yeux se dilatent, tes muscles s’apaisent.
Voilà ton fuel mon pauvre ami ! La béquille des grands soirs de disettes et des matins qui te donnent mal à la tête. Vertigineuses sont les sensations quand le monde se déforme et que ton regard file moins vite que ta pensée. Les temporalités s’affrontent, celles des foules, celles des mots qui résonnent, celles des musiques qui percent tes tympans. Tu n’es plus grand chose l’ami, tu deviens le verre que tu adore voir rempli. Un récipient vide. Une coupe assoiffée qui réclame et ne se tarie jamais. Tu es cet objet qui n’existe que lorsqu’il s’imbibe, sans lui tu serais sec et fragile.
Tu te noie l’ami… tu te consume… tu te vide. Tu oublies ton nom et ton histoire, tu es un autre nageant dans ses déboires. Tu ne t’écoutes plus car en toi vogue un bateau ivre, une poésie qui s’écoule par litres; alors tu écris. Tu couches ici et là des mots distancés, une imagination qui se dessine par touche comme la tache d’encre qui vient d’être trempée. Quelque chose se libère au cœur du sacrifice d’autres choses. Tu te réjouis tout en pleurant et inversement. Tout est devenu son contraire. Les pôles de tes univers s’inversent. Rien ne répond comme il se devrait.
« Il y a quelque chose de pourri au royaume de mes sens » – se dit un vieil Hamlet qui réécrit sa propre pièce. Le sol se dérobe sous tes pieds, la réalité se fragmente. En cet instant le sommeil est ton ennemi et le plus doux des réconforts. Te voici prisonnier d’une scénographie tournante. Tout le décor fout le camp, tu ne vois plus les murs, ni les routes, ni les gens. Il y a des ombres et des points de lumières rythmés par tes clignements de paupières. Tu n’es pas le bel Octave de chez Musset, un équilibriste tiraillé qui s’en sort par un tour de passe-passe – non – tu es rôti, cuit, déchiré, beurré, raide, défoncé, mort, explosé, rond comme une pelle, loin de tout et près de rien…
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