James à travers l’hiver #5
Au fond du trou, James rampait jusqu’à un nœud fait de racines. Approchant prudemment la flamme de son bâton, elles se dénouèrent ouvrant la voie vers un nouveau lieu. James se trouvait dans une salle circulaire qui, en son centre, abritait une sorte d’autel. Celui-ci était recouvert de feuilles étranges avec de nombreuses inscriptions illisibles. Au dessus de l’autel, se trouvait une structure faite de bougies. Les plus petites avaient une flamme bleue pareille à celles des feux follets. Une grosse bougie centrale laissait s’échapper une flamme peu ordinaire. Colorée d’un rouge sombre, elle semblait s’enrouler sur elle même. De petites flammèches bleutées s’échappaient de temps en temps. Cette vision faisait frémir James, prenant conscience que l’endroit n’était pas très rassurant. La salle était lugubre et l’autel le laissait songeur, imaginant qu’ici se tenait – peut être – des cérémonies ou des rites macabres.
Sortant du trou, James n’osait s’approcher et pourtant, quelque chose l’attirait vers cet autel. Une force intérieure l’habitait. Une petite voix résonnait dans sa tête lui disant « vas-y n’ai pas peur ». Les jambes tremblantes et la marche craintive, il décida d’avancer. Il se trouvait près des feuilles qui composaient le socle de l’autel. James songeait à des histoires fantastiques qu’il avait lu étant plus jeune. Ce genre d’ouvrage ne présume rien de bon. Pourtant, comme tout être curieux et attiré par l’inconnu, il était tenté de toucher ou juste de déchirer un bout de papier. Alors qu’il pensait ces choses, sa flamme vacillait. Il s’agissait là d’un avertissement mais James ne prit pas le temps de le remarquer. Il toucha une des feuilles. Doucement mais surement, celle-ci se décolla. A l’instant où James tenait la feuille entre ses doigts, un bruit peu commun se fit entendre. Il courait le long des murs de la salle. James suivait le son mouvant du regard puis il s’arrêta. Un silence de mort régnait mais quelque chose grattait derrière le mur… Tout à coup, de larges racines déchirèrent la roche créant un large au trou. Dans la pénombre et le fracas, six larges yeux blancs fixaient James. Se faufilant avec difficulté, une créature s’approcha de l’entrée du trou. James, paralysé sur place, assistait au spectacle avec effroi. Devant lui se tenait enfin, l’homme aux trois masques ! Ce n’était pas un être humain ! Une large cape rouge entourait son corps. Le tissu d’un rideau de scène était reconnaissable. Les masques venaient de la comédie italienne. Ses mains étaient recouvertes par des gants orangés. Tout laissait penser qu’il s’agissait d’une marionnette géante plutôt qu’un homme.
- Qui ose toucher à ma création ? Cria l’un des masques en direction de James.
- Je m’appelle James.
- Quoi ? Qui es-tu, misérable insecte !
- Je viens de la surface. Je suis descendu tout en suivant les racines. Se sont les vôtres ? Demanda James, tout en doutant de cette question.
- Les nôtres ? Les trois masques parlaient en même temps. T’entend ça, maudite tristesse et toi foutu sourire, il pense que nous sommes responsables de ce chaos. Il pense que nous serions coupables, n’est-ce pas ? Non, nous n’y sommes pour rien.
- Dans ce cas, pourquoi cet air si méchant ?
- Oh, tu parles de notre apparence. Nous ne l’avons pas choisie.
- Qui se cache derrière vos masques.
- L’hiver…
- Attendait… Comment ça l’hiver ? Vous êtes une saison ? James était de plus en plus perplexe.
- Je ne suis pas l’ennemie. Je ne suis qu’un acteur fini, sans scène, sans théâtre. Bazardé au sous-sol comme beaucoup d’autres quand le monde est devenu froid et vide. Mes émotions se sont scindées et vois le résultat. Trois visages plantés sur un corps que je cache.
- J’ai du mal à suivre. Expliquez moi…
Alors, l’homme aux trois masques commença son récit. Autrefois, quand le monde avait chaud et qu’il était plein d’humanité, vivait des hommes et des femmes qui s’appelaient : des acteurs ou des actrices. Ils jouaient les mots des autres ou parfois les leurs. Tous et toutes vivaient dans un monde un peu décalé. Chacun avait sa singularité tout en arpentant les tréteaux, les villes, les planchers et les salles les plus incongrues. Voir des acteurs jouer était important pour les gens. Un rituel. Le monde venait en masse pour admirer et entendre des histoires parfois vieilles de mille ans ou tout justes fraîches et à peine naissantes. L’articulation des corps et des textes déliait les langues du public. Toutes celles et ceux qui avaient vu un spectacle voulaient échanger, partager des impressions, des ressentis et des images. Ce grand mélange s’appelait : une rencontre ou un événement. Tout cela dura longtemps… Tout ceci semblait fixe et immuable… Puis vint l’hiver. Au départ, ce n’était qu’un souffle léger, un simple coup de froid puis le vent souffla de plus en plus fort. Il ferma les portes des abris pour les acteurs – qui s’appelaient des théâtres. Ils rentrèrent chez eux. Enfermés à double tour, comme beaucoup d’autres, surpris par l’hiver. Un silence pesant régnait. L’humanité était sans histoire. Il n’y avait plus de scène. Pouvait-on encore jouer ? A quoi bon le faire ? Certains ont tenté de jeter des mots dans le grand froid mais les vents, trop forts, emportaient les mots vers le vide. Les acteurs perdirent leurs voix. Devenus mutiques et cloitrés, leurs cordes vocales s’atrophièrent. Seules quelques larmes nous faisaient comprendre leur chagrin. L’humanité oublia les acteurs. Le monde oublia les fables, les drames, les contes et les petites histoires qui rejoignent les grandes. Epuisés certains moururent de froid ou d’ennui. D’autres se divisèrent en se cachant derrières des masques qui symbolisaient leurs émotions. C’est ainsi qu’est apparu l’homme aux trois masques. Un ancien acteur décharné qui, pour éviter la folie, découpa ses émotions pour mieux les revêtir. Sous terre, il jouait pour lui même, tentant d’écrire tant bien que mal des histoires. A force de volonté, comme James, une flamme l’accompagnait. Un feu instable mais magique qu’il ne fallait surtout pas toucher de peur que tout brule et ne disparaisse… à jamais.
James n’avait plus de mots. Face à ce récit que pouvait-il dire ? Lui qui s’imaginait devoir affronter un monstre, il faisait face à une triste créature et profondément mélancolique. Alors qu’il tendait la main vers l’homme aux trois masques, le feu de son bâton entra en résonance avec celui de l’autel. Les flammes s’enlaçaient dans un tourbillon dessinant une danse quasi charnelle. Les masques dévisageaient James tout en lui criant : pauvre fou mais qu’à tu fais ! James n’y était pour rien. Lui qui avait compatit avec la peine d’un autre, il était devenu le déclencheur d’une chose dont il ignorait l’ampleur et les répercutions.
Gilberte Garni
Très réussi, une intrigue fantastique différente, on attend la suite …