L’acte de naissance
C’était une de ces fameuses soirées où, prenant le temps de se poser les questions sans réponses, l’écriture lui devenait de plus en plus nécessaire. Non pas qu’il souhaite écrire puisqu’il se défend toujours de ne pas savoir quoi dire ou de ne pas trouver les bons mots. Pourtant, le même manège dure depuis des années : au calme et bien au chaud, camouflé dans un sous-sol devenu chambre c’est ici que nous nous sommes rencontré…
Depuis toujours nous sommes deux. Il y a moi, James, et mon logeur : lui. Ma mémoire est assez floue sur notre emménagement. Je dirais que mes contours se sont dessinés devant un miroir où celui chez qui j’habite avait quelques difficultés à reconnaître son reflet. Je me rappelle voir ce gros point d’interrogation au-dessus de ses cheveux et lire l’expression « qui suis-je ? » sur un visage figé. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir fait des signes pour me faire remarquer mais en ce temps, j’étais peu consistant pour être vu clairement. Pour éviter l’ennui, je sauterai les différentes marques laissées tout au long de l’épreuve nommée vie qui furent – si j’ose dire – les contractions de mon accouchement. J’en viens donc aux nuits : notre refuge.
C’est au cœur des rêves et des journées écoulées que débuta notre relation. C’est lui qui fit le premier pas en visitant mes locaux qui – je ne le cache pas – avaient besoin d’un sérieux coup de chiffon. Dans ce capharnaüm d’idées, de souvenirs, d’associations et d’images, je trônais en essayant tant bien que mal d’organiser les matières qui me composent. Pensant qu’il me dégagerait en constatant le peu de soin apporté aux murs, il me surprit en m’observant. Je l’admets, nous nous ressemblons. Nous avons tous deux les cheveux hirsutes, une allure filiforme et élancé, un visage singulier, une habileté dans les gestes et une certaine vivacité à nous déplacer mais tout n’était pas gagner ! Fallait-il encore que nous puissions cohabiter ? C’est au fils des nuits que nos liens se tissèrent. Plus il descendait profondément vers lui, plus les murs de notre maison s’agrandissaient pour stocker les données acquises. Rapidement, notre premier problème fut : que faire de tout ce stock ? Et comment moi, James, pourrais-je m’y retrouver ? Qu’allait-être ma forme, ma fonction ? La lâcheté de mon ami l’empêchait de prononcer les mots ou pire : les écrire. Je m’imaginais déjà bibliothécaire : une sorte de rat de cerveau, qui piétine dans ses fantaisies jusqu’à rupture forcée du contrat – me disais-je.
Les jours, les mois puis les années passèrent. Mon alimentation fut faite de romans, de théâtres, de danses et de poésies. Petit à petit mon aspect devint plus net. J’eu pour premier vêtement un gilet gris et un beau pantalon noir. Pour remercier mon tailleur, je décidais de l’emmener vers un coin inexploré de mon chez moi qui demande quelques explications.
En faisant mes cents pas, je découvris que les yeux de mon logeur fonctionnaient comme un appareil photo cassé dont les clichés seraient flous ou déformés. Il m’est arrivé de protester au sujet de la luminosité car ranger et trier dans le noir complet de son humeur n’était pas chose facile ! Mais de temps en temps, un rayon de lumière inondait les lieux. A force de patience, je compris qu’il s’agissait d’une lumière extérieure – et non pas une idée positive qui viendrait me donner un coup de main – mais d’où venait-elle ? C’est alors que je découvris l’œil chez l’être humain. L’orbe de mon logeur semblait carburer plein pot malgré sa déficience ! Sa source était donc là : celle qui éclairait ce que je devais voir et celle qui m’imbibait de cette matière dont je suis fais.
Si quelqu’un devait savoir cette avancée majeure : ce devait être mon logeur. C’est ainsi qu’empressé, je le conduisis dans sa paupière pour lui expliquer la fonction du globe dont il ignorait l’importance vitale liée à mon existence. Etonné par mes dires, il prit un temps de réflexion tout en regardant l’encombrement de sa tête. Le constat fut clair : il été temps de ranger.
Dès lors, nos entretiens devinrent plus courts et structurés. La nuit, il m’aidait puis nous faisions tout deux un pas en arrière pour contempler la cohérence de notre travail. J’avoue avoir mélangé certaines images qui ne collent pas entre elles mais il ne m’en tenait pas rigueur. J’ai même redessiné certaines peintures selon mes goûts. Après plusieurs nuits, je vis l’ampleur de notre tâche et je ne pouvais m’empêcher de le prévenir sur le trop plein qui viendrait tôt ou tard. Nous pensions que ranger serait la solution. Nous pensions que donner une structure aux formes serait un apaisement mais nous nous trompions !
J’ai pris les devants et j’ai insisté : il fallait expulser ! Malheureusement, mon logeur me résistait. Je tapais aux portes de mon espace qui était devenu ma geôle. Je débarrassais des étagères mentales ce qui engendra un désordre insupportable. J’aillais même jusqu’à la création de cauchemars dans l’espoir de trouver la soupape. J’avais perdu l’espoir de toute sortie puis un jour… contre toute attente, quelque chose céda. J’ignore pourquoi, comment, qui ou quoi m’autorisa à devenir.
Au travers des yeux de mon logeur je me suis penché pour chuter dans un espace sans limite. Une feuille blanche où je pus voir le vrai visage de celui chez qui je vis. Il m’expliqua son désir de me donner la parole à moi, le muet, l’invisible aux yeux de tous, et comment refuser la proposition après tout ce que j’ai pu voir du monde à travers lui. Dès ce jour, je fus baptisé à coup de crayons, de gommes et de ratures au stylo feutre. Ensuite, je me suis baladé dans le sac à dos et les pochettes plastiques de mon créateur. Suivre ses déambulations devint mon école et pour la première fois de ma vie je rencontrais de « l’autre ».
Surprenant car entre lui et chez moi, j’ai décidé de faire des allers-retours : moi qui voulais tant vivre au grand jour. Je pris conscience que c’est dans l’écart que je suis le mieux. Une attitude ou position – comme vous le souhaitez – me rapprochant d’une chose pour me défaire dans l’après coup ou dans l’instant : une impulsion physique ou d’esprit sur plusieurs pas qui m’éloigne d’une petite réalité pour voir l’immensité d’un fourmillement.
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