Mauvais Temps
Marchons peu mais marchons bien… Au pays de ses propres brumes et au cœur d’un ciel gris qu’il apprécie, James regarde quelques nuages qui se profilent au loin. A travers la vitre de son imaginaire, il réfléchit car cette manifestation annonce un mauvais temps. Dans ses grands écarts, il se souvient d’une réflexion sur celui-ci et notamment la pluie qu’il amène. Que nous parlions d’averses ou quelle soit diluvienne la question reste la même : quelle protection choisir ? A force d’avoir fait trempette, deux réponses lui viennent à l’esprit. Il y a ceux qui préféreront le parapluie, le couvre chef, la parka, le bon k-way, en sommes tout ce qui fera écran ou qui peut se superposer pour ne pas être arroser mais il existe aussi ceux qui n’ont pas peur de la sauce, les trempés, les mouillés, les humides, les fans de la douche froides en bref… ceux qui ne craignent pas les gouttes ou les trombes par temps d’orage.
Dans ses débuts, James c’était longtemps fait rabrouer les oreilles dès qu’un temps houleux pointé le bout de son nez : « protège toi », « tu vas attraper froid », « tu vas choper la crève », … mais il n’écoutait rien. Têtu comme un furet – car oui ça l’est – il préféré braver les éléments, cheveux hirsutes au vent, persuadé de ne faire qu’un avec les éléments. Frêle comme à son habitude, indétrônable au milieu du chaos, une marche s’opère où personne ne peut esquiver les gouttes. Vous l’aurez compris, James appartenait au cercle restreint des saucés, accablés par l’eau qui n’épargne rien – surtout lorsque les chaussettes sont trouées.
En grandissant, il observa les autres et leurs pratiques plutôt que d’interroger les siennes. Quelle idée de se couvrir de la sorte ? – Pensait-il – je ne comprends pas, ce n’est que de l’eau ? Ca ne fait pas si mal et même si ça mouille, on peut en faire abstraction ? Je préfère le panache d’une figure qui a osé affronter plutôt que l’hypocrisie de ceux qui se disent au sec, propres et intouchés ! En effet, James refusé de suivre le courant ou plutôt le sens de l’écoulement qui nous fait croire que l’eau a disparue alors qu’elle stagne puis pourrie jusqu’à – et heureusement – s’évaporer. Combien de temps faut-il pour que le ciel cesse ses pleurs et que les cris de ses éclairs se meurent ? James n’avait pas la réponse, jusqu’au jour où le mauvais temps dura.
Dans une bonne saison, pas toujours sereine mais avec de belles éclaircies, quelque chose c’est couvert. Au début c’était une fine nappe grise, qui pouvait se dissiper au moindre coup de vent mais qui, en réalité, cachée plusieurs couches, strates, faisant d’elle une mélasse innommable ; pétrie du meilleur comme du pire. Tandis que gonfle l’électricité, tandis que les particules s’échauffent et se frottent, un ciel se charge attendant patiemment une faille, un point de rupture, une crevasse. Le craquement se fait. Ce mauvais temps, cette mauvaise augure, déverse et ouvre ses vannes sans songer au sol sur lequel il s’écoule. Rien ne germe par trop de pluie – les bons jardiniers vous le diront – une terre suffoque, se noie, meurent et peinent à reprendre son souffle, elle se ramollie, jusqu’à trouver le sursaut de se protéger. Une force. Un barrage. Une limite. Un stop qui dit, semblable à la formule « fontaine je ne boirais pas de ton eau », sale temps je refuse que tu l’emporte… Malgré sa maxime, pour la première fois, James sentit que l’eau pénétré ses vêtements. Le froid glaciale et humide n’en était que plus fort jusqu’à lui faire sentir un chavirement, une affliction susceptible d’être une maladie. Surpris par sa sensibilité, il prit un parapluie qui, jusque là, était un objet qui l’avait toujours rebuté. Armé de cette ombrelle, il s’aventura dehors et fit le constat des flots ininterrompus. Autours de lui, d’autres se précipitent pour s’abriter, ils se cachent et s’agglutinent pensant qu’être en amas les fera sécher. James reste perplexe. Devenu invisible dans les rideaux de pluie, il est dans le vent, il est ailleurs, ni sec et ni trempé. Il contemple les eaux troubles dans lesquelles il a toujours nagé et se dit, qu’au final, elles auront beau se déverser ou tenter d’essayer de le masquer, elles sont trop faibles : une chose qui glisse mais qui ne peut s’agripper. Un dérangement passager qui n’atteint rien, dès l’instant que l’on sait progresser.
C’est alors que James observa le monde différemment car – plus ou moins abrité – sous son petit parapluie, un nouveau paysage s’offrait à lui. Un nouveau monde qui n’avait rien de glorieux car il était devenu binaire et sans nuances. Un univers chaud ou froid qui s’affronte et se disloque. James était face à deux choix : s’abriter, se mettre au sec ou boire la tasse. Il songea à ses expériences et sa connaissance du mauvais temps. Il réfléchis aux nombreuses fois où il avait du traversé ce phénomène. Patiemment, au milieu de la pluie, il voyait, il entendait, il sentait…
Soudain, le mutisme l’envahit, un silence qui s’impose pour réfléchir jusqu’au constat, jusqu’à l’acte d’agir. James ferma son parapluie puis il sentit la noyade. Il disparut sans laisser de traces. Il comprit – depuis fort longtemps – ce que le mauvais temps impose à une partie du monde : la fuite, la course, l’esquive, le déni. Il y aura toujours de l’insupportable chez ceux incapable de supporter. Songeur, James resta quelques temps sur ses pensées puis il décida, avant de rentrer chez lui, de faire quelques pas sous cette horrible pluie. Il était à côté d’autres qui, comme lui, savaient que la vie n’est pas de rester sous son parapluie mais d’apprendre, comme Gene Kelly, à chanter et rire sous la pluie.
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